Sally Rooney

Editions de l’Olivier / 2022 / 384 pages
Après Normal People, Sally Rooney nous fait partager les rêves et les déceptions de ces enfants du siècle avec une franchise et une justesse remarquables.
Romancière à succès exilée loin de l’agitation de Dublin, Alice rencontre Félix sur Tinder. Eileen se remet d’une rupture aux côtés de son ami de toujours, Simon, le mec idéal, qui a toujours montré à quel point il tenait à elle. Des situations classiques, banales pour des jeunes gens comme eux à qui la vie a tout à offrir.
Malgré l’éloignement, les deux amies correspondent sur leur situation, sur leurs idées et leurs idéaux. Elles s’envoient des e-mails remplis de déceptions et d’espoirs. De réflexions sur l’amour, le sexe et l’amitié. De théories politiques et sociétales.
Qu’est-ce que les livres gagnent à être liés à ma personne, à mon visage, à mes particularités et toutes leurs caractéristiques déprimantes ? Rien. Alors pourquoi, pourquoi ça se passe comme ça ? Quel intérêt cela sert-il ? Ça me désole, ça m’éloigne de la seule chose dans ma vie qui a du sens, ça n’apporte rien à l’intérêt public, ça ne comble que la curiosité la plus basse, ça permet d’organiser entièrement le propos littéraire autour de la figure dominante de « l’auteur », dont on dissèque en détail mais sans raison la vie et les idiosyncrasies.
Sally Rooney nous offre à nouveau un roman sur la vie. Je ne sais pas comment mieux expliquer et décrire ses livres. Rien ne s’y passe mais tout s’y passe. Elle est toujours parfaitement juste et analyse avec une finesse désarmante une jeunesse qui cherche à comprendre où elle va.
J’avais déjà eu ce sentiment d’ovni littéraire avec ma lecture de 𝘕𝘰𝘳𝘮𝘢𝘭 𝘱𝘦𝘰𝘱𝘭𝘦. Juste une nana qui raconte des choses de la vie. Avec brio. Si je n’ai pas eu le même coup de cœur ici – les chapitres consacrés à la correspondance mélancolique et désabusée entre Eileen et Alice m’ont parfois parus un peu longs – j’ai retrouvé avec plaisir la plume de Sally Rooney qui nous offre à nouveau des personnages hyper attachants et ancrés dans la réalité, qui permettent par leurs réflexions d’ouvrir des débats intérieurs au lecteur.
Alors qu’on aurait dû réorganiser la répartition des ressources planétaires et mener une transition collective vers un modèle économique durable, on se préoccupait de sexe et d’amitié. On aimait trop, on s’intéressait trop aux autres.
