Un hiver à Sokcho

Elisa Shua Dusapin

Editions Zoé / 2016 / 144 pages

Un roman délicat comme la neige sur l’écume transporte le lecteur dans un univers d’une richesse et d’une originalité rares, à l’atmosphère puissante.

L’hiver s’étend comme une trêve cotonneuse dans la petite ville portuaire de Sokcho à la frontière entre les deux Corées. Le temps s’écoule un peu au ralenti à la pension du vieux Park où les touristes ont déserté le froid et les clients se font rares. La narratrice y travaille. Elle y cuisine les mets délicats appris de ses aïeules et prépare avec soin les chambres des pensionnaires. Entre les visites dominicales à sa mère et les rendez-vous avec son petit ami plus attiré par les lumières de Séoul que par l’atmosphère engourdie de l’hiver dans la petite ville, les jours défilent et se ressemblent.  

Lorsqu’un homme arrive pour prendre une chambre pour quelques temps, avec son unique valise et son visage européen, elle sent un bouleversement qui s’invite avec lui, lui rappelant les origines françaises de son père qu’elle n’a pas connu. C’est un écrivain. Ou plus exactement un dessinateur de BD. Et elle va lui faire découvrir Sokcho l’hiver, pour nourrir sa prochaine publication. Les cultures s’apprennent, les liens se resserrent. Et on se laisse glisser avec eux, sans faire trop de bruit.  

Suintant l’hiver et le poisson, Sokcho attendait.
Sokcho ne faisait qu’attendre. Les touristes, les bateaux, les hommes, le retour du printemps.

C’est le premier roman de l’autrice qui vit en Suisse romande et qui est, comme son personnage principal, née d’un père français et d’une mère sud-coréenne. On sent dans les traits qu’elle donne à cette jeune fille toute l’ambivalence de ces deux cultures si éloignées qui s’attirent et s’entrechoquent. Elisa Shua Dusapin a une plume extrêmement poétique qui décrit l’univers coréen feutré, discret et rempli de culture millénaire, de manière sublime et puissante. Contemplative.

Les hommes se préparaient à la pêche aux calamars. Ils s’attardaient à la baraque à soupe, ajustaient leur ciré, que le vent ne puisse s’engouffrer par le ventre ou par le cou, avant de se rendre à l’embarcadère, de monter sur les vingt-quatre bateaux pour allumer les ampoules des câbles tendus de la poupe jusqu’à la proue, elles appâteraient les mollusques loin de la côte. Les bouches ne parlaient pas, les mains s’activaient, aveugles, dans le brouillard. Je marchais jusqu’à la pagode au bout de la jetée, dans les relents du large qui faisaient la peau grasse, posaient du sel sur les joues, et sur la langue un goût de fer, et bientôt les milliers de lanternes se mettaient à briller, alors les pêcheurs libéraient les amarres, et leurs pièges de lumière partaient vers le large, procession lente et fière, la Voie lactée de la mer.

Note : 3.5 sur 5.

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