Dennis Lehane

Editions Gallmeister / 2023 / 496 pages
Dennis Lehane présente une fresque campée au milieu des tensions raciales qui ont divisé Boston dans les années 1970.
Quelle immense claque pour mon premier roman de Dennis Lehane. Cet immense auteur américain prolifique qui est notamment le père des romans aux adaptations dingues de Mystic River ou Shutter Island. Il revient après six ans en nous offrant une fresque brutale de la banlieue de Boston des années 70.
C’est dans le quartier irlandais de South Boston, et plus précisément dans la cité de Commonwealth que se déroule le cœur de cette histoire. La où grandissent ceux qui savent quand il faut parler et se taire. Qu’ils peuvent compter les uns sur les autres si certaines règles sont respectées. Et les règles sont contrôlées par ceux sur qui on peut compter.
Mary-Pat Fenessy est une native de Commonwealth pur jus. Elle élève seule Jules, sa fille de 17 ans, celle qui lui reste après l’overdose de son fils et la perte de ses deux maris. Mais elle s’en fout Mary-Pat, elle gère, c’est une dure à cuire pur produit de la classe ouvrière irlandaise. Sa fille, son job, les règles. Pas de problème. Jusqu’au jour où sa fille ne rentre pas à la maison, le jour où un jeune Noir est retrouvé mort sur une rame de métro dans un quartier loin de chez lui.
Je ne peux pas te protéger.
Je peux faire ce que je peux, t’enseigner tout ce que je sais. Mais si je ne suis pas là, quand le monde sort ses griffes – et même si je suis là – rien ne garantit que je puisse l’en empêcher.
Je peux t’aimer, je peux t’aider, mais je ne peux pas te mettre à l’abri de tout.
Et ça me fiche une trouille bleue. Chaque jour, chaque instant, à chaque respiration.
Parallèlement à l’histoire de Mary-Pat comme un portrait de femme et de mère coup de poing (à l’image du personnage de Mildred dans le film 3 Billboards, les panneaux de la vengeance), dans un monde d’hommes où les limites n’existent plus parce que son monde non plus, on assiste aussi à la problématique des quartiers de ces années-là. La ségrégation raciale qui sévissait a poussé le gouvernement à imposer aux lycées à majorité blanche d’accueillir des élèves noirs et inversement. Cette décision, le « busing », qui touchait principalement les quartiers pauvres de Boston comme Southie a poussé la population à enflammer les rues de la ville cette année-là. Cette tension permanente offre encore plus d’intensité au drame qu’affronte Mary-Pat dans cette poudrière attisée par les tensions raciales qui iront jusqu’à remettre en question ses convictions les plus solides.
Je découvre avec Le Silence l’incroyable écriture de Dennis Lehane. Si je connaissais certaines de ses œuvres pour les avoir vues adaptées à l’écran (dont Mystic River qui est l’un de mes films préférés), j’ai été bluffée par son talent d’écrivain. Sa faculté à insuffler une telle vie à ses personnages, à les rendre si palpables et définitivement humains, tout en offrant un portrait de société de manière si intelligente que, quand bien même on ne le voudrait pas, la vérité froide s’insinue en nous.
J’ai lu ce roman d’une traite et ne peux que vous dire une chose : ne passez pas à côté.
– Je n’ai pas tué votre fils, dit-elle
– Ah vraiment ? réplique Dreamy. Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était quelque chose de normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l’avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes, qui ont tous été élevés par des parents racistes tels que vous, ont été lâchés dans le monde pareils à des putains de grenades bourrées de haine et de stupidité…
