Triste tigre

Neige Sinno

Editions P.O.L / 2023 / 288 pages

Ce livre est un récit confession qui porte autant sur les faits et leur impossible explication que sur la possibilité de les dire, de les entendre. C’est une exploration autant sur le pouvoir que sur l’impuissance de la littérature.

Le livre à lire. Le Prix Femina, Le Monde et Les Inrock. Finaliste au Goncourt. Celui dont tout le monde parle, qui déconstruit les idées préconçues sur les ouvrages qui s’attaquent à ces sujets, le phénomène de la rentrée littéraire de l’automne 2023.   
  
J’ai lu Triste Tigre. Parce que tout ce tapage a fait son boulot bien sûr, mais parce que j’avais envie de comprendre. Qu’est-ce qu’il avait de plus? 276 pages ce n’est pas un gros livre, mais c’est déjà beaucoup pour parler de ce sujet sans adopter la forme du roman. Sans caresser la fiction qui permet de se cacher un peu et ne pas dire que le principal.   

Un abus sexuel sur un enfant n’est pas une épreuve, un accident de la vie, c’est une humiliation profonde et systémique qui détruit les fondements mêmes de l’être. Quand on a été victime une fois, on est toujours victime. Et surtout, on est victime pour toujours. Même quand on s’en sort, on ne s’en sort pas vraiment.

Neige Sinno nous offre donc son témoignage. Sa propre vision d’un vécu de petite fille bafouée, jeune, longtemps, violemment. Si elle ne livre jamais de scènes crues – elle n’écrit pas pour faire sensation – elle nous propose des questionnements, des portraits. De son bourreau, de sa mère, d’elle-même à différentes périodes de sa vie. De la société face à ce fléau. Une analyse fine et sincère (nom de dieu cette sincérité !) de ce qu’elle veut crier à la face du monde : un problème de société ! Ce n’est pas une affaire qu’on règle en famille. Du linge sale comme elle dit. Alors elle écrit. Elle cite de nombreuses sources, elle retranscrit des passages entiers de romans, de poésie. Elle écrit. Pas pour se sauver, elle est assez lucide pour savoir que ce n’est pas une thérapie qu’elle appelle de sa plume, mais pour tenter de quoi… comprendre? transmettre? prévenir? accepter… non. Pas de résilience totale pour les victimes qui doivent vivre avec cette part d’ombre qui les a construites.   
  
En adressant ses questionnements de manière frontale, Neige Sinno ne laisse pas le choix. Nous, en tant que lecteurs, devenons dépositaires de ses mots, hésitants entre témoignage autobiographique et essai. Des mots qui ont mis 20 ans à nous atteindre et qui forment un livre percutant dont il est très difficile de parler. Qu’il faut lire pour percevoir toute l’honnêteté.

Non, la littérature ne m’a pas sauvée. Pourtant, toute ma vie, j’ai aimé les livres. La lecture est une activité si particulière, presque magique. Quand on lit, on est seul. Quand on écrit on est seul. Mais ce sont des solitudes peuplées, des silences pleins de murmures. Je ne sais pas pour qui j’écris, mais je sais de quel endroit je voudrais écrire. J’écris depuis l’enfance, depuis la petite fille que j’étais, depuis sa colère, depuis son envie de vivre.

Note : 4 sur 5.

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