Entre deux mondes

Olivier Norek

Editions Pocket / 2018 / 375 pages

Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l’attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir. Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu’il découvre, en revanche, c’est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n’ose mettre les pieds. Un assassin va profiter de cette situation. Dès le premier crime, Adam décide d’intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est flic, et que face à l’espoir qui s’amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou. Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu’elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d’ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.

Il est des livres qui nous tombent dans les mains et qu’on referme en se disant qu’on serait amputé d’un peu d’essentiel en les ayant manqués. L’𝘌𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘥𝘦𝘶𝘹 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦𝘴 d’Olivier Norek est de ces livres. Indescriptible. Et pourtant je tape ces mots sans trop savoir comment vous en parler, en vous suppliant simplement de ne pas passer à côté.

Partout dans le monde, tu trouveras toujours un homme pour profiter de la détresse des autres.

Dès les premières pages on est mis au parfum. L’auteur, capitaine à la police judiciaire du 93, ne fait pas dans la dentelle.  Un homme, policier, de l’autre côté de la mer, se sépare de sa famille, de son âme, les envoyant loin de lui et de leurs racines dans le seul but de les sauver. Sans savoir vers quoi ils se tournent, tous, espérant juste un peu de paix. C’est ce que vivent au quotidien des milliers de familles, dont le quotidien en feu les pousse vers l’impossible. Puis, pour ceux qui survivent, c’est la France, l’espoir, Calais, la Jungle. Les tentatives nocturnes violentes et désespérées pour rejoindre l’Angleterre, « Youké », terre chargée de promesses. Et puis c’est les calaisiens, fuis par le reste du monde, dont les vies se cloisonnent, survivant dans la peur des agressions de chauffeurs et des fermetures des commerces. Et puis c’est la police, blasée et blessée qui n’a pas le choix et dont l’humanité s’effrite au fil des interventions qui ne servent qu’à garder un semblant d’équilibre, ou les nouveaux arrivés remplis de bonnes intentions, près à déchanter. C’est cet homme, avec son âme de flic, à la recherche désespérée de sa femme et sa fille qu’il a cru sauver, et cet enfant, (cet enfant !) si attachant, avec son courage immense et son histoire qu’on ne veut pas entendre comme lui ne peut plus la dire. La rencontre de ces deux solitudes comme un signe d’espoir, une main tendue au milieu de l’insensé.

– Vous croyez aux fantômes, Passaro ?

– Je ne me suis jamais posé la question. Vous parlez des esprits qui hantent les maisons ?

– Exact. Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes. Ils me font penser à eux, oui. Des âmes, entre deux mondes.

Les mots de l’auteur, si justes et jamais emprunts du moindre jugement, percutent et frappent. Par son style direct et sans compromis, il nous interdit de regarder à côté. La grande force de l’écriture de Norek dans ce roman est de nous faire voir les choses par les yeux de chaque protagoniste, sans parti pris ni manichéisme. On peut se sentir migrant, flic, enfant, parent, chauffeur, bénévole humanitaire, et ressentir les émotions qui peuvent submerger chacun d’entre eux au milieu de cette situation démunie de sens.

J’ai dévoré ce roman sans m’en rendre compte, en apnée, ouvrant les yeux sur ce que chacun de nous connaît mais qu’on préfère reléguer dans un coin de son cerveau, tout au fond, pour ne pas l’affronter. Une ouverture. Un roman d’une intensité rare, un cri, avec des scènes extrêmement touchantes, qui va me suivre longtemps.

Face à la violence de la réalité, je n’ai pas osé inventer. Seule l’enquête de police, basée sur des faits réels, a été romancée. Je remercie les flics de Calais, ceux des Renseignements, les Calaisiens, les journalistes, mes sources du CNRS et de Sciences Po, les bénévoles humanitaires mais par-dessus tout, ces hommes et ces femmes qui, fuyant l’horreur des guerres, ont accepté de se livrer.

Olivier Norek

Note : 5 sur 5.

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