Délia Owens

Editions du Seuil / 2020 / 368 pages
Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent.
A l’âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l’abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie. Lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même…
Ce soir j’aimerais vous parler d’elle. De celle qui, toute sa vie, a été abandonnée par les autres. Qui s’est construite seule, grâce à la nature favorable, à ses ressources insoupçonnées et ses habitants bienveillants. Qui peu à peu a appris à puiser sa force au fond d’elle plutôt qu’au contact des autres. Celle qui faisait parler, qui faisait peur ou intriguait. Qui vivait là où chantent les écrevisses. Celle qu’on appelait la Fille des marais.
C’est dans l’Amérique profonde des années 60 que se déroule ce roman sensible et déroutant. Les habitants d’une petite ville côtoient les marais envahissants qui regorge d’une nature sauvage mais qui abrite aussi des hors-la-loi, des anciens esclaves ou de simples familles plus pauvres. C’est l’histoire de la famille Clark, qui se retrouve à vivre dans une cabane au milieu des marais, entre un père alcoolique et violent et une mère qui s’éteint peu à peu en regrettant les fastes de sa famille. Et puis ce sont les départs qui se succèdent, laissant la petite Kya seule avec cet environnement qu’elle va savoir apprivoiser et en faire sa famille la plus intime, qui l’aidera à grandir et à affronter la vie qui l’attend.
Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue – comme s’ils n’étaient pas faits pour rejoindre les airs – dans le vacarme d’un millier d’oies des neiges.
Énormément de thèmes primordiaux sont abordés dans ce roman qui se déroule à une période charnière des droits de l’homme. La différence, la tolérance, le rapport à l’autre, à la femme, à la nature. L’écriture de Delia Owens, zoologiste de formation, nous plonge dans univers aux descriptions incroyables.
De la poésie. C’est ce que je retiendrai beaucoup, et surtout, de ma lecture. Des proses et des vers qui s’insèrent au récit et nous font nous envoler au milieu des oies sauvages (et dont je serais curieuses d’en lire la version originale), la poésie de la nature qui imprègne chaque tournure de phrase, la poésie de la vie de cette enfant, fille, femme, dont la fin nous cueille de manière subtile et magnifique.
Après avoir lu Betty (Tiffany Mc Daniels) il y a quelques semaines, j’aurais dû savoir que l’histoire de Kya me chamboulerait tout autant ou presque. Ma conscience encore sous l’emprise de la petite indienne s’est totalement laissée embarquée par la fille des marais, sa force, son innocence et sa vérité si pure. Ces parcours d’enfants puis de femmes qui forcent l’admiration sont définitivement des histoires qui nous bousculent, et nous font grandir.
Elle en savait plus que tout le monde sur les marées, les oies des neiges, les aigles et les étoiles, et elle ne savait pas compter jusqu’à trente.