David Vann

Editions Gallmeister / Totem / 2011 / 208 pages
Une île sauvage du Sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Mais la rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.
Couronné par le prix Médicis étranger en 2010, Sukkwan Island nous entraîne au cœur des ténèbres de l’âme humaine.
Après avoir découvert Pete Fromm ces derniers mois, David Vann était le suivant sur ma liste des auteurs à lire de toute urgence. Est-ce que j’étais prête? Je ne sais pas. Ça fait plusieurs jours que j’ai terminé son Sukkwan Island et ses mots tournent inlassablement dans ma tête en me proposant d’autres interprétations, encore plus de plongeons émotionnels…
Comment vous parler d’un livre qui m’a tellement bouleversée… parfois certains textes vous touchent pour différentes raisons plus ou moins personnelles et puis parfois c’est juste un tout. Un coup en plein cœur, qui en a même à certains moments été trop douloureux .
Ils voyaient au-delà des îles voisines, apercevaient d‘autres horizons lointains, leur champ de vision s‘étendait plus loin que jamais. C‘est le genre de choses que la plupart des gens ne voient jamais, dit son père. La plupart ne voient jamais cet endroit en plein hiver, et certainement pas depuis leur propre montagne par un jour ensoleillé. On est chanceux, voilà ce qu‘on est.
Ils grimpèrent jusqu’au sommet, montèrent sur les rochers et le paysage était toujours aussi clair. Ils voyaient toute leur île derrière, sans aucun autre signe de présence humaine, rien que les montagnes blanches et les arbres sombres qui s’étalaient en contrebas.
Son père étendit les bras et poussa un hurlement.
Ce livre c’est d’abord une atmosphère folle. Celle de l’Alaska et de ses neiges de septembre, de la pêche au saumon et des longues nuits d’hiver, d’une île sauvage et inhospitalière mais d’une beauté à couper le souffle. On y est plongé dès les premières pages suite à la décision d’un père d’y passer un an avec son fils de treize ans pour recréer des liens décousus et tenter de trouver des réponses ou de sauver ce qui peut encore l’être après des années d’échecs personnels. Des longs mois qui vont s’avérer déclencheurs de nombreuses remises en question, parfois irréversibles.
On passe la première partie dans la tête de Roy, jeune homme parachuté aux côtés d’un père complètement perdu, jusqu’à ne plus savoir prendre aucun décision, banale ou fondamentale, presque incapable de discernement. Puis le basculement arrive. Une explosion et on change d’optique, on change de ressenti et on a l’impression de devenir peu à peu chacun des narrateurs qu’on incarne. Et puis, omniprésente comme une ombre dont on ne peut se défaire, la Nature. Elle est tellement intensément présente qu’on en ressent chaque bruissement de feuille, chaque bourrasque de vent sans parvenir à s’en préserver. Et pourtant, ce n’est jamais elle qui porte la désolation et le chaos.
Des questionnements, des plongées dans l’âme humaine comme on en croise rarement, une manière de creuser dans l’inconscient qui nous empêche de respirer. C’est avec une main de maître que l’auteur nous emmène exactement là où il veut, tout en laissant à chaque lecteur, en fonction de son vécu et de son appréhension de l’autre, une marge d’interprétation qui donne le vertige. David Vann a cette faculté incroyable de nous faire basculer d’une ligne à l’autre dans un état émotionnel parfois à la limite du supportable, qui s’accentue encore à la lecture de la postface de l’auteur dont on comprend le lien avec cette histoire et l’importance de l’avoir couchée sur le papier.
Il avait ressenti à ce moment précis que c’était comme si la mort venait de frapper. S’il en avait su autant qu’il en savait à présent, il ne serait jamais venu. Mais il en voulait à sa mère. C’est elle qui avait tout arrangé. A l’origine, il avait voulu dire non.
Ce qu’il faudrait surtout, c’est qu’en ouvrant ce livre réellement éprouvant, on n’en sache pas trop sur ce qu’il s’apprête à nous offrir. C’est un roman, comme le dit si bien Delphine de Vigan dans sa préface, qu’on devrait lire « 𝘴𝘢𝘯𝘴 𝘳𝘪𝘦𝘯 𝘴𝘢𝘷𝘰𝘪𝘳 𝘥𝘦 𝘭’𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘲𝘶’𝘪𝘭 𝘳𝘢𝘤𝘰𝘯𝘵𝘦 𝘯𝘪 𝘥𝘦 𝘴𝘢 𝘨𝘦𝘯𝘦̀𝘴𝘦, 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘰𝘯 𝘤𝘩𝘰𝘪𝘴𝘪𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘭𝘢 𝘱𝘳𝘰𝘮𝘦𝘴𝘴𝘦 𝘥’𝘶𝘯𝘦 𝘦𝘹𝘱𝘦́𝘳𝘪𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘦𝘤𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘶𝘯𝘪𝘲𝘶𝘦 𝘦𝘵 𝘦𝘹𝘵𝘳𝘦̂𝘮𝘦, 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢𝘲𝘶𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘰𝘯 𝘴’𝘦𝘯𝘨𝘢𝘨𝘦𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘶𝘯 𝘮𝘦́𝘭𝘢𝘯𝘨𝘦 𝘥𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘧𝘪𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘦𝘵 𝘥’𝘪𝘯𝘲𝘶𝘪𝘦́𝘵𝘶𝘥𝘦. »
Ce court roman a définitivement pour moi la fulgurance des grandes œuvres littéraires.
Il avait l’impression qu’il était seulement en train d’essayer de survivre au rêve de son père.