Les Ombres

Zabus – Hyppolyte

Dargaud / 2020 (2013 première édition chez Phébus) / 184 pages

Une fable contemporaine sincère et émouvante qui raconte l’exil et l’émigration sous un angle métaphorique.

Qui est cette silhouette vêtue d’une toge blanche au visage masqué perché sur une chaise dans une pièce sombre? En face de lui un homme s’installe. Géant. Avec lui un dossier. Géant. Et notre silhouette, malingre, lui fait face. L’exilé numéro 214. Il demande asile, il plaide sa cause pour obtenir sa chance. Mais contre le sésame tant espéré, ou du moins la possibilité qu’on l’examine, on lui demande de raconter son histoire. Les ombres qui surgissent autour de lui, celles de ceux qui n’ont pas survécu, l’exhortent à raconter la vérité. Leur vérité, pour qu’ils ne disparaissent pas complètement et qu’ils n’aient pas vécu en vain.  

Quelle beauté, cet album mystérieux qui nous parle de façon métaphorique des problématiques de l’exil et de l’immigration. Les personnages n’ont jamais de visage, le sujet étant trop universel, les masques qu’ils portent pouvant identifier chaque homme et chaque femme qui s’est trouvé un jour à cette place.  Pièce de théâtre à l’origine, Les Ombres laisse peu de place à la cause ou à une quelconque solution. Seule compte la problématique de l’exil, désespéré, jonché d’obstacles infranchissables, comme un chemin de croix qui ne laisse pas de place à un choix quelconque. Survivre. Continuer.

L’allégorie est omniprésente et un véritable parti pris. L’ogre du capitalisme, le serpent-passeur mangeur de dollars, le héros coupable et victime, les sirènes… La présence des Ombres aux côtés des vivants laisse planer une part de mélancolie, de regrets et de manque, tout en leur donnant un rôle protecteur et guidant les pas de ceux qui restent. J’ai été très touchée par cette vision de la vie qui continue et qui offre une part d’humanité après la mort.  

Les illustrations aux teintes changeantes sont parfois troublantes, parfois effrayantes, mais nous embarquent dès les premières cases dans un monde étrange et hypnotique.  

– Raconte notre histoire, la vraie ! Dis-lui la vérité ! Tu en as honte ?

– Si tu meurs, nous mourrons une deuxième fois.

– L’histoire de notre vie supprimée, oubliée !

– Le devoir de mémoire tu connais, grand chef !

– Du fond de notre tombe… nous l’exigeons !

– Réfléchis, Fils… il n’y a plus que toi pour nous raconter !

Note : 4 sur 5.

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