Cabossé

Benoît Philippon

Editions le Livre de Poche / 2022 / 320 pages

Une cavale jalonnée de révélations noires, de souvenirs amers, d’obstacles sanglants et de rencontres lumineuses.

Voilà bien un livre qui a perturbé mes idées reçues. Je suis assez sûre dans moi quand je me fie aux couvertures, aux quatrièmes, à mon intuition quand je choisis un livre. Et puis parfois ce n’est pas une lecture de choix, comme ici lors d’un jury, et on bouscule nos habitudes. Et tant mieux !  merci #prixdeslecteurs2022polar

C’est vrai que la couverture un peu criarde et le résumé qui me paraissait trop léger et trop cliché… et pourtant. Quelle claque!  

Et soudain le barrage pète. Les larmes se déversent. Comment un si petit corps peut contenir autant de larmes ? On est fait de 95% d’eau, il paraît, alors si tu les pleures , c’est quoi les 5 % qui restent ? Les os ? L’âme? Les regrets ?

D’abord la plume : parlons-en ! C’est la première fois que je lis du Philippon (son précédent roman, Mamie Luger, a connu un grand succès mais ne m’avait pas trop attirée pour les raisons que vous connaissez maintenant) et on peut dire que ça décalque ! C’est cru, c’est direct, ça ressemble à un uppercut en pleine face. Il nous emmène dans une aventure déjantée, avec une pincée de noirceur, un soupçon de cynisme mais surtout une grande poignée d’émotion.  

Roy, né Raymond, s’est trouvé un nom qui correspond à sa gueule et à ses rêves. Roy ça fait boxeur, ça fait star américaine et grand balèze à la tronche de travers. Parce que ça oui, la gueule de Roy c’est pas vraiment ce qu’on peut appeler une gueule d’ange. Il va la subir, puis l’apprivoiser. Il va avancer au milieu des tuiles et des emmerdes, abîmant un peu plus sa carcasse qu’on vient pas trop chatouiller. Et un jour le destin place une luciole sur son chemin. C’est Guillemette avec sa lumière qui illumine la vie de Roy, ses petits kilos et sa passion farouche, elle aussi cabossée par la vie et qui s’en fout, elle, de la tronche cabossée de son géant.  

Un jour où il s’entraînait à esquiver et à donner des coups dans la salle de boxe de Bobby, Roy a fait une rencontre unique. Le genre de rencontre qui déroute ta vie et te met des panneaux de signalisation pour t’aiguiller quand t’es trop con pour te diriger tout seul. Ou trop aveuglé. Par la colère, par exemple. Quand t’en a rien à branler des panneaux, tu grilles les feux, tu prends l’autoroute à contresens, et puis tu vois pas le platane, tu finis en miettes de thon dans une boîte de conserve concassée que t’appelais autrefois ta caisse. En boxe c’est pas le platane que t’embrasses, c’est le tapis. La vie t’apprend des leçons à grands coup d’écrasage de face dans du dur.

C’est la passion qui guidera l’histoire de ces deux cœurs abîmés, contre lesquels rien ni personne ne pourra rien opposer. Ni un ex violent, ni les flics, ni la Bête qui se réveille, ni des sales personnages, ni des souvenirs qui font mal ou une mamie plutôt corsée. Juste la passion d’un destin qui a placé deux âmes en vrac sur le même chemin.  

J’ai été touchée en plein cœur, moi, par ces deux-là. Même si leur histoire n’est pas à proprement parler un polar comme on l’entend, on est embarqué à côté d’eux dans un road trip inoubliable.

– T’aimes bien les ricains, hein, Roy ? (…)
– Ouais. J’avoue. Plaisir coupable.
– Pourquoi coupable ?
– On est en France. Ça fait mauvais effet d’aimer les Ricains. Sont venus dézinguer du Boche sur nos belles plages normandes vu qu’on a pas été foutus de le faire nous-mêmes, y nous ont collé du Coca en intraveineuse et fait bouffer du cinéma pop-corn alors que nous, « les Français », on coule des bronzes en lisant du Voltaire, alors on se sent supérieurs. Voltaire, j’sais pas, j’ai pas lu. Paraît qu’c’est un mec brillant. Perso, un coup d’oeil en coin de Brando, j’trouve ça plus tripant et j’ai pas envie de m’excuser. Ça déplait aux bouffeurs de camembert ? Ben, qu’ils restent dans leur village de Gaulois à s’enculer entre cousins. Moi, quand j’écoute Sam Cooke dans mon Chesterfield en buvant mon whisky, j’me sens dans un vieux film en noir et blanc et ça m’plaît. J’suis loin du snobisme parisien puant. D’toute façon, j’habite à Belleville. Ça sent plus la pho que le bœuf bourguignon alors venez pas me parler du drapeau français et laissez-moi prendre mon pied sur ma musique ricaine et si j’ai envie de m’appeler Roy, ça m’regarde, j’vous fais pas chier parce que vous vous coltinez des noms de merde comme Marcel ou Robert sur votre carte du FN…

Note : 4 sur 5.

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