J’irai tuer pour vous

Henri Loevenbruck

Editions Flammarion / 2019 / 640 pages

1985, Paris est frappé par des attentats comme le pays en a rarement connu.

Dans ce contexte, Marc Masson, un déserteur parti à l’aventure en Amérique du Sud, est soudain rattrapé par la France. Recruté par la DGSE, il est officiellement agent externe mais, officieusement, il va devenir assassin pour le compte de l’État.

Alors que tous les Services sont mobilisés sur le dossier libanais, les avancées les plus sensibles sont parfois entre les mains d’une seule personne… Jusqu’à quel point ces serviteurs, qui endossent seuls la face obscure de la raison d’État, sont-ils prêts à se dévouer ? Et jusqu’à quel point la République est-elle prête à les défendre ?


Henri Loevenbruck a encore frappé. Au plus juste. Au cœur. L’hommage rendu à l’homme, à l’ami, est puissant et on sent à travers ses mots la volonté de transmettre, le plus fidèlement possible, le sentiment d’humanité qui porte tout entier cet homme dévoué au service de son pays. Le sujet, grave et peu connu, des services secrets et de ses agents « Alpha », clandestins au service d’un pouvoir unilatéral, est posé ici comme un témoignage. Sans fard mais sans langue de bois. On s’attache évidemment instantanément à Marc Masson, l’enfant, l’homme, l’amoureux, le soldat, le loyal. Mais aussi à chacun des personnages qui l’entourent, même dans leurs lâchetés, leurs peurs, leurs bassesses parfois. Mais dans leurs vérités surtout.

« Je suis la balle dans votre fusil. C’est vous qui tirez, c’est moi qui tue. »

Loevenbruck embarque le lecteur, après une petite mise en condition, sur un rythme effréné à travers le paysage politico-diplomatique des années 80, avec l’incroyable faculté – merci Henri – de simplifier, ou du moins de les rendre accessibles, les codes d’enjeux plutôt complexes. Si la multitude de noms peut parfois porter à confusion, la trame est fluide et l’organisation des chapitres, avec son mouvement de va-et-vient entre les différentes sphères de l’histoire, permet aisément de ne jamais décrocher et impose une cadence parfaite. La précision de faits et les innombrables détails et anecdotes témoignent de l’immense travail de documentation et de recherche de Loevenbruck qui nous habitue, dans ses romans historiques ou non, à une justesse et une rigueur sans pareille. Les descriptions et les dialogues entre les hommes politiques de la Vème République de Mitterand sont criants de vérité et parfois même extrêmement piquants. Le jeu de pouvoir entre les politiques et les services de police, le décalage flagrant et parfois choquant entre l’urgence de résultats et le temps nécessaire à ces derniers montre que finalement, tout n’est qu’une question d’intérêts… de la vie suspendue d’otages aux relations diplomatiques entre des pays entiers.

L’Amérique du Sud, les racines de Masson, ses repères et son Papi José, éternelle figure paternelle ; la France, Paris meurtrie, ses intrigues politiques et policières, les grands tournants politiques de l’époque avec ses manœuvres électorales, Lorient et les rares souvenirs d’enfance, Lyon qui s’affiche comme une parenthèse amoureuse ; le Liban, la belle Beyrouth brisée sous les feux de la guerre civile ; l’Autriche et son verso… autant de lieux et d’évènements qui s’imbriquent pour nous offrir un paysage de choix afin d’y placer l’histoire d’un homme rempli de la volonté de servir. Un idéal semblable à une philosophie de vie, un investissement sans faille trahissant un besoin inégalable de se sentir utile. De donner du sens.

« J’ai toujours pensé que l’homme ne devait se battre que pour protéger les faibles, jamais pour assouvir. L’homme ne devrait pas être dirigé par l’homme mais par ses idées, ses idéaux. »

Le choix de Loevenbruck de déplacer l’intrigue au début des années 80, dans la France des attentats qui ont frappé Paris et des otages au Liban, l’a été pour des raisons évidentes de confidentialité suite à l’accord de l’homme qu’il nomme Hadès d’écrire ce livre et son histoire. Cet accord, obtenu après plusieurs années d’insistance, le lendemain des attaques de Charlie Hebdo, marque un besoin de témoigner. Une nécessité. Sans contrepartie.

« (…) les types comme lui n’attendaient pas de médailles, ils ne cherchaient pas le flash des photos sur leurs visages encagoulés à la une des journaux. Ils n’attendaient aucune forme de reconnaissance, ni de la part du peuple, ni de celle de la République. Les bons citoyens, d’ailleurs, préféraient ne pas savoir. Les basses besognes se faisaient toujours dans le noir. Les clandestins étaient les soutiers de la gloire, volontaires, qui attendaient dans l’ombre que le doigt de leur maître se dresse, et leur seule récompense, alors, était le seul fait de pouvoir partir en mission. »

Je referme ce livre avec un flot d’émotions qui ne se décide pas à me lâcher. Je suis assaillie par des questionnements sur ce système au profit duquel tant de vies sont sacrifiées, sur ce sacrifice justement de ceux qui ressentent ce besoin vital de se sentir utile, de laisser une trace. Je suis émue, troublée par la vie de cet homme dont j’ai appris à ressentir les élans, les peines, les failles au fil de ma lecture. Un homme empli d’une telle humanité qu’il gagnait tellement à être raconté.

« En grandissant, au milieu des tumultes, la lecture ne m’a jamais quitté. J’ai toujours chéri les livres comme la plus grande richesse que les hommes puissent m’offrir. Je n’ai jamais possédé d’autre trésor que ma bibliothèque, jamais voulu m’entourer d’autres décors que celui de ces milliers de vies, de pensées, de paysages à portée de main, offerts à chaque ligne à celui qui les lit, pour le prix d’une bouchée de secondes. On dit que la lecture est un plaisir solitaire, mais celui qui ne lit pas est bien plus seul encore. Il lui manque le monde entier. »

Note : 4.5 sur 5.

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