Antoine Renand

Editions Pocket (Robert Laffont) / 2019 / 489 pages
« Il resta plus d’une heure debout, immobile, face au lit du couple. Il toisait la jeune femme qui dormait nue, sa hanche découverte. Puis il examina l’homme à ses côtés. Sa grande idée lui vint ici, comme une évidence ; comme les pièces d’un puzzle qu’il avait sous les yeux depuis des années et qu’il parvenait enfin à assembler. On en parlerait. Une apothéose. »
Cet homme, c’est Alpha. Un bloc de haine incandescent qui peu à peu découvre le sens de sa vie : violer et torturer, selon un mode opératoire inédit.
Face à lui, Anthony Rauch et Marion Mesny, capitaines au sein du 2e district de police judiciaire, la « brigade du viol ».
Dans un Paris transformé en terrain de chasse, ces trois guerriers détruits par leur passé se guettent et se poursuivent. Aucun ne sortira vraiment vainqueur, car pour gagner il faudrait rouvrir ses plaies et livrer ses secrets.
J’avais volontairement gardé cette quatrième et dernière lecture de la sélection pour le Prix Nouvelles Voix du Polar 2020 pour la fin. Ça faisait quelques temps que ce roman me faisait de l’œil avec son résumé glaçant et les avis unanimes publiés un peu partout… Et je ressors de ma lecture comme après une longue course. Essoufflée et vidée. Un vrai coup de poing. Un vrai coup de cœur.
Rarement un livre aura mieux porté son nom. Qu’est-ce que l’empathie ? Pourquoi ce sens fait-il de nous des êtres sensibles et capables de vivre en société, respectant les besoins et les limites imposées par les autres … ? Antoine Renand y répond avec une justesse qui décontenance, nous forçant à puiser cette empathie au fond de nous qu’on ne peut pas contrôler.
Se revendiquer victime n’avait jamais aidé personne. On maintenait les gens dans cet état, d’une voix doucereuse, en leur laissant croire qu’un procès soigne et répare.
L’auteur dresse le portrait d’un être effrayant. Un « Alpha » inadapté, résultat d’un mélange de tous les éléments réunis pour fabriquer un psychopathe de la pire espèce. Soumettre, avilir, réduire en poussière… voilà ce à quoi il se croit destiné et qui lui procure son unique jouissance. Sa force surhumaine et son agilité en font un être glissant et insaisissable. Sur ses traces, la brigade du viol, spécialisée dans les cas les plus violents. Tout au long du livre, l’auteur fait la part belle aux victimes. On s’identifie à leur banalité, on a peur pour elles, on souffre à leurs côtés… A la tête de l’enquête, Marion Mesny, jeune et jolie inspectrice ultra impliquée au passé torturé, et son acolyte Anthony Ruch, dit La Poire, flic intelligent, discret et condescendant, qui tente tant bien que mal de s’extirper des filets de sa mère, grande avocate pénaliste aussi talentueuse et égocentrique que dénuée de capacités maternelles. On comprend peu à peu que ce surnom, peu flatteur et lié à une morphologie presque féminine, cache un passé trouble que son propriétaire est bien décidé à dissimuler.
On va se plonger, au fil des pages et des chapitres très bien construits, consacrés les uns après les autres à l’intimité et à la construction de chacun des personnages, dans leurs secrets les plus enfouis, dans leurs dénominateurs communs, et se confronter à la noirceur de la nature humaine, la pire qui soit. On apprend à les connaître, à les plaindre, les aimer puis les haïr… tout en gardant le fol espoir au fond de nous que cette condition humaine pervertie conserve une petite flamme d’espoir, de rédemption.
S’il n’avait pas vu le jour dans le taudis que le démiurge avait choisi pour lui, peut-être serait-il devenu l’un d’eux. Il n’était pas moins intelligent qu’eux. Mais il était un homme debout, qui ne baissait jamais le regard.
Qu’est-ce que la vie avait à lui apporter, dans la société actuelle ? Une femme, des enfants ? Une retraite, un smartphone ?
Pauvres cafards…
L’écriture d’Antoine Renand, connu pour ses talents de scénariste et réalisateur, est percutante de justesse et de précision. Rien n’est laissé au hasard. Son expérience du rythme, primordial derrière une caméra, est mise ici au service d’un suspense et de révélations sans pareille. La construction des chapitre et les différents flash-back sur le vécu des personnages sont très intelligemment structurés, nous permettant de reconstituer peu à peu les puzzles épars qu’on découvre en commençant notre lecture.
C’est dur. C’est violent. C’est sans concession. Mais c’est surtout impossible de lâcher ce livre une fois qu’on s’y est aventuré.
Le second roman d’Antoine Renand, Fermer les yeux, est paru cette année également aux éditions Robert Laffont. Vous aussi vous vous demandez ce que je fais encore là ?
On ne naît pas psychopathe, on le devient.