Sous le soleil de tes cheveux blonds

Agathe Ruga

Le Livre de Poche/ 2020 / 312 pages (Editions Stock 2019)

L’une est blonde, secrète et bourgeoise. Au lycée, on la surnomme Brigitte. L’autre, extravertie et instable, répond au nom de Brune. Toutes deux sont encore des jeunes filles pleines d’avenir. Ensemble, elles se le promettent, elles pourront tout vivre. Traversant les années folles de la jeunesse, elles découvrent la joie d’aimer, de danser, de rire et de boire jusqu’au petit matin en rêvant à leurs destins de femmes. Mais un étrange jour d’été, tout s’arrête brusquement. Sans donner aucune explication, Brigitte rompt leur amitié et disparaît.

Les années passent mais n’effacent pas la douleur de l’absence. Lorsque Brune tombe enceinte, le moment est venu de comprendre ce qui s’est joué entre elles, ce qui les a unies puis séparées. D’autant que Brigitte, dont elle n’avait plus la moindre nouvelle, revient la hanter : dans ses rêves, elle aussi attend un enfant…

On a tous vécu une rupture d’amitié. Une banale et légère ou de celle qu’on croyait éternelle, plus forte que le monde entier et pour laquelle on aurait tout donné. Elle est faite de cette profondeur, l’histoire que nous confie Brune dans cette déclaration. Sa déclaration.

Elles sont belles, jeunes, avec la vie devant elles et le monde à leurs pieds. L’une aussi brune que son prénom, impulsive et passionnée, l’autre aussi blonde que l’autre Brigitte, classique et torturée. Ensemble, elles vont tout connaître, tout affronter parce qu’ensemble elles sont ce qu’elles recèlent de plus fort, complémentaires et fusionnelles. Pourtant un jour, c’est la fin abrupte de leur amitié, incompréhensible pour Brune qui n’a jamais réussi à savoir ce qui a poussé sa Brigitte à créer ce néant. Ou alors à admettre que parfois les choses se passent d’une certaine manière sans qu’on puisse avoir une emprise rationnelle sur elles.

Tu es partout. Tu fais un bruit épouvantable. Tu es pire qu’une rupture mal digérée, ton absence prend toute la place. Parfois j’imagine que tu meures, et je suis prise d’une angoisse insurmontable, car je comprends que le manque s’éprouvera après ton décès. Je dois faire le deuil de toi vivante.

C’est enceinte de son second enfant que Brune, comme un besoin viscéral, incontrôlable, se remémore ces dix années de sa vie d’adolescente puis de jeune adulte aux côtés de Brigitte et de leur bande d’amis. Ses choix, souvent périlleux envers et contre tous, ses humeurs et ses doutes, ses pulsions et ses déclarations d’amitié, tout ce qui fait qu’on se construit et l’importance de ce soutien si précieux que sont les vraies amitiés. L’écriture d’Agathe Ruga, sublimée par quantité de tournures de phrases que je me suis surprise à trouver spécialement élégantes et à propos, expose sans tabous les étapes de ces années, essentielles mais fulgurantes, qui nous plongent dans des souvenirs qui font forcément écho chez chacun de nous.

Blogueuse littéraire à succès, au passé de dentiste, Agathe Ruga – agathe.the.book – livre ici un premier roman comme un besoin nécessaire qu’elle adresse à une autre sans intermédiaire. Une libération à la seconde personne. Et grand bien lui en a pris : une écriture fluide, moderne, mais à la sensibilité troublante qui ne laisse présager que du bon pour la suite. Décidément les premiers romans 2020 recèlent bien des talents !

Les gens parfois disparaissent de nos vies sans mourir, sans guerre et sans cris. Nous avons grandi avec eux, certains nous ont tout appris, ils existent au plus profond de nous sans que jamais nous ne puissions le leur redire. Nous fermons la porte de nos souvenirs, nous serrons les mâchoires lorsqu’une musique nous ramène à eux, nous bâillonnons nos réflexes et nous rendons à l’évidence: nous ne les reverrons plus.

Note : 4 sur 5.

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