Luca Di Fulvio

Slatkine & Cie / 2019 / 654 pages
1913, trois jeunes gens embarquent pour l’Argentine. La rebelle Rosetta fuit son village italien. A la mort de ses parents, harcelée, elle n’a eu d’autre choix que d’abandonner sa ferme. Rocco, fier et fougueux jeune homme, laisse derrière lui sa Sicile natale. Il refuse de se soumettre à la Mafia locale. Raechel, petite juive russe, a vu sa famille décimée dans un pogrom. Elle n’emporte avec elle que le souvenir de son père. Le nouveau monde les réunira.
Pour moi, depuis que j’ai découvert sa plume dans Le Gang des Rêves, ouvrir un roman de Luca Di Fulvio, c’est comme retrouver un vieil ami. Comme une sensation de retrouver ses repères, de rentrer chez soi.
Cette nouvelle lecture n’a pas fait exception à la règle. Quel bonheur de se replonger dans les mots de cet incroyable conteur d’histoire… Il a la faculté – qui m’étonne à chaque fois – d’offrir une lecture accessible avec une écriture fluide et facile, tout en se saisissant de thèmes forts et difficiles qui nous font parfois presque oublié de respirer. Notre regard, en passant d’une phrase à l’autre, peut nous faire vivre des montagnes russes d’émotions, car jamais aucun mot n’est trop fort pour l’auteur pour dénoncer, défendre ou libérer. Cet auteur est pour moi un magnifique défenseur de causes qui comptent, de certains oubliés de l’Histoire.
Ainsi, des femmes avaient commencé à employer des termes dangereux comme justice et liberté, des mots qui sonnaient très bien dans la bouche des hommes, mais pas dans celle des femmes. Car chez elles, ces mots pouvaient en sous-entendre un autre, bien plus scandaleux, qui était égalité.
On part dans Les Prisonniers de la liberté de Sicile ou du fin fond des plaines soviétiques vers une Buenos Aires remplie de promesses. Trois jeunes gens qui ne connaissent depuis toujours rien d’autre que l’oppression et la violence rêvent d’un monde où ils pourraient enfin avancer, apprendre, travailler…. vivre! L’espoir d’un nouveau monde où tout serait possible leur permet d’espérer et de ne pas se laisser happer par leur milieu, celui qui leur était destiné mais contre lequel ils sont bien déterminés à se battre. Un nouveau monde où les jeunes filles juives auraient le droit de lire et écrire, où les femmes un peu trop belles le droit de vivre par elles-mêmes et où les liens du sang pourraient offrir d’autres alternatives aux affiliations maffieuses.
Quelle incroyable épopée j’ai vécu aux côtés de Raechel, Rosetta et Rocco, trois personnages attachants, entiers, forts et si déterminés ! Leur irrépressible besoin de liberté et d’égalité m’a fait tellement de bien, même si l’âme humaine dans toutes ses bassesses n’est jamais sous-estimée par Luca Di Fulvio qui dépeint des personnages dont la médiocrité est à peine imaginable… l’occasion pour lui de dénoncer des agissements teintés de vérité, comme le trafic de milliers de jeunes filles juives dans un réseau de prostitution intolérable qui s’est tenu impunément durant de trop nombreuses décennies jusqu’à être enfin dénoncé et démantelé.
C’est confirmé. Pour moi Luca Di Fulvio rassemble dans chacun de se romans tous les ingrédients utiles à des romans qu’on ne veut jamais laisser trop longtemps avant de tourner la dernière page. Et dieu merci, il y a beaucoup de pages dans ses histoires.
Car son père lui avait aussi enseigné autre chose : tout être humain a le devoir, plus encore que le droit, d’écrire son propre destin.