Eden

Monica Sabolo

Le Livre de Poche / 2020 (Gallimard 2019) / 279 pages

« Un esprit de la forêt. Voilà ce qu’elle avait vu. Elle le répéterait, encore et encore, à tous ceux qui l’interrogeaient, au père de Lucy, avec son pantalon froissé et sa chemise sale, à la police, aux habitants de la réserve, elle dirait toujours les mêmes mots, lèvres serrées, menton buté. Quand on lui demandait, avec douceur, puis d’une voix de plus en plus tendue, pressante, s’il ne s’agissait pas plutôt de Lucy – Lucy, quinze ans, blonde, un mètre soixante-cinq, short en jean, disparue depuis deux jours –, quand on lui demandait si elle n’avait pas vu Lucy, elle répondait en secouant la tête : « Non, non, c’était un esprit, l’esprit de la forêt. » »

Un malaise planant. C’est ce sentiment qui a dominé tout au long de ma lecture de ce roman, que je suive la jeune Nita, protagoniste principale, dans ses tribulations adolescentes, que je me retrouve face aux réalités des jeunes de la réserve qui, malgré une apparente acceptation, subissent au quotidien une discrimination criante, ou encore lorsque la dimension mystique des esprits de la forêt emporte tout sur son passage…  

Lorsque la jeune Lucy, qui détonne au milieu des autochtones parmi lesquels elle vit après son déménagement, disparaît après avoir été aperçue vers la forêt, c’est immédiatement vers les jeunes des la réserves que les yeux des autorités se tournent. C’est forcément l’un d’eux. Et tout sera fait pour le démontrer, quitte à déformer la réalité et lui faire dire ce qui doit l’être. Et pourtant, malgré le malaise et les injustices, la forêt, abri insaisissable et allié indéfectible, saura rétablir une justice insoupçonnée et en cohésion avec une image féminine plus forte et présente que jamais, bien décidée à ne plus laisser la vie et les hommes décider à leur place.

La vie est violente, nous sommes des proies ou des prédateurs, ou plutôt, nous sommes les deux à la fois, chacun notre tour.

Mi thriller-mi roman d’initiation teinté de nature writing, c’est avec la plume emprunte de grâce de l’auteure – que j’avais découverte avec son Summer – qu’on avance sur un chemin peu balisé dans une forêt remplie de mystères. Entre le récit d’un passage de l’enfance à l’adolescence, en passant par la situation des femmes dans une société machiste et dominatrice, on découvre une jeunesse autochtone désabusée, désignée coupable quoi qu’elle tente, qui cherche à sortir la tête de l’eau pour respirer un peu mieux, et finalement qui prend les armes pour combattre les injustices à sa manière. Brillant.   
  
Si la dimension spirituelle, voire parfois un peu exaltée, de ce roman m’a parfois un peu dépassée, j’ai aimé devenir la spectatrice de cette communauté quelque peu sacrifiée, à l’image de la forêt qui l’entoure, et où le châtiment et les conséquences de chaque crime cristallisent la rage de tout un peuple.  

Que savons-nous des êtres qui sont partis ? Que savons-vous de leurs pensées, de leurs peines ? Peut-être volent-elles vers nous, cherchant à nous atteindre ? Peut-être sont-ils juste là, à côté de nous. Ils nous parlent, ils approchent leurs visages, ils nous enlacent, et peut-être prononçons-nous les mots que nous n’avons pas osé leur dire, que nous tenons prisonniers dans nos cœurs mais qui, la nuit, nous échappent, se déversant dans leur cœur. Peut-être la nuit est-elle traversée de nos émotions les plus secrètes, qu’elles se percutent, qu’elles s’embrassent. Peut-être que notre courage, nos espoirs, nos fois absurdes, proviennent des phrases que l’on nous a murmurées dans l’obscurité, de cette douceur dont il ne reste, au matin, qu’une pulsation, juste une envie de vivre.

Note : 3.5 sur 5.

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