Djaïli Amadou Amal
Editions Emmanuelle Collas / 2020 / 252 pages
Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes.
Munyal. Munyal. Munyal.
Comme une litanie, le conseil accompagne les femmes du Sahel depuis leur plus jeune âge et pour chaque situation qu’elles rencontrent.
Patience.
« La seule valeur du mariage et de la vie »
Face au mariage initié par le père et son orgueil. Face à l’amour qui s’échappe. Face à la polygamie et aux confrontations avec les autres épouses. Face à l’injustice et à la violence des souffrances qu’on tait. Face à l’attente de retrouver son mari après les autres. Face aux droits des hommes. Face au malheur d’être une femme.
Il est difficile, le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs.
On suit trois destins de femmes : Ramla, Hindou et Safira. L’une sera mariée à un homme puissant tandis que l’homme qu’elle aime lui sera enlevé, l’autre doit épouser son cousin, un homme violent contre lequel elle ne peut rien car un époux est forcément dans son droit, et la troisième se bat pour garder son statut d’épouse légitime face à une nouvelle mariée jeune et belle, quitte à se fourvoyer pour ne pas être oubliée …
La construction du roman, qui est fortement autobiographique, est très intéressante car on passe d’un point de vue de femme à un autre, se mélangeant et se croisant au gré des envies des pères et des hommes de leurs familles. On aurait pourtant aimé en savoir encore un peu plus à la fin de chaque partie, et on en ressort un peu frustré, ou peut-être inutile, face à tant de barbarie et de résignation.
Trois destins bouleversants pour témoigner de la condition des femmes qu’on ne peut soupçonner dans nos cultures européennes où le féminisme assied enfin des droits pour lesquels aucune fille ne devrait avoir à se battre. Des idées archaïques, patriarcales et révoltantes où les femmes sont encore considérées comme des objets permettant aux hommes de faire briller leur arrogante vanité.
Grâce à ce roman courageux qui brise les tabous de la condition féminine au Sahel, Djaïli Amadou Amal, elle-même peule et musulmane, a reçu le Prix Goncourt des Lycéens 2020. Ce prix largement mérité permet à cette auteure camerounaise et militante de faire mieux connaître la réalité qui se cache derrière les murs de certaines parties d’Afrique où la polygamie, le viol, les mariages forcés sont encore trop nombreux et trop souvent la norme.
La patience est un arbre dont la racine est amère mais les fruits très doux.
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