Cécile Coulon

Le Livre de Poche / 2021 / 288 pages
Dans sa ferme isolée au bout d’un chemin de terre, appelée le Paradis, Emilienne élève seule ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel. Devenue adolescente, Blanche rencontre Alexandre, son premier amour. Mais, arrivé à l’âge adulte, le couple se déchire lorsqu’Alexandre, dévoré par l’ambition, exprime son désir de rejoindre la ville tandis que Blanche demeure attachée à son coin de terre.
J’ai lu ce roman de manière intense et sur un fil, déroulant les chapitres de manière systématique, presque organique, autant que les verbes intransigeants qui en sont les titres. Protéger. Construire. Surmonter. Venger. Mordre. Vivre.
C’est une histoire de fierté, de racines et de terre. Celle d’une lignée de femmes fortes et fières, droites dans les obstacles et les virages de la vie. Comme les roseaux qui plient et ne rompent jamais.
On rencontre Émilienne, gardienne indéfectible de ses terres, tenancière à poigne de son Paradis, qui affronte les drames les plus violents et garde malgré tout tête haute même si ses épaule ploient un peu au fil du temps et des épreuves. Blanche et Gabriel, ses petits-enfants exposés si jeunes aux violences indicibles, l’une aussi belle et solide que l’autre paraît sensible et frêle. Louis, le commis qui est plus que ça mais jamais assez, dévoué corps et âme à Émilienne et à cette terre qui lui a tout offert. Et Alexandre, ce premier amour auquel Blanche s’est livrée telle qu’elle ne peut pas être autrement, entière, qui n’est pas né là où il aurait dû, comme un cygne magnifique et ambitieux au milieu d’un nid d’oies. Et puis le Paradis. Cette terre qui, comme une malédiction, enserre ses occupants et leur crée des racines qu’ils ne peuvent arracher, à moins d’efforts surhumains et en se fourvoyant.
C’est donc cela, les pleurs, les vrais. Des blessures en avalanche, les muscles, la peau, les os, le sang, qui tentent de sortir par les yeux, qui fuient ce navire à la dérive, cette épave incapable d’accueillir d’autres matelots que ceux du passé, dont le pont s’est depuis longtemps écroulé sous le poids de ce grelot, énorme à présent, monstrueux, une gigantesque boule qui grossissait encore. C’est donc cela, les pleurs : le sacre du désespoir.
On suit le long des années ces personnages aux caractères intenses que l’auteure construit magnifiquement, avec une tension qui palpite et grandit parallèlement de manière insidieuse jusqu’à nous livrer l’âme de ces personnages. Une tension qui se forge de passions, de renoncements, de trahisons et de vengeance.
L’auteure est une poétesse. Intrinsèquement. Son écriture, empreinte d’une poésie rare mais dont la rudesse et la violence s’insèrent comme des cicatrices, est venue me chercher aux tripes. J’avais envie de noter chaque phrase, chaque tournure magnifique, chaque mot parfaitement choisi avec soin pour ce qu’il dit.
Cécile Coulon est une de mes très, très belle découvertes de cette année, dont j’ai hâte de découvrir les autres œuvres.
Elle se tient là, prostrée devant ce petit bouquet de campagne, si joli au milieu de cette fosse que sa grand-mère, Emilienne, a fait creuser pour ses cochons. C’était il y a longtemps. Elle se souvient de tout. Car si aucun animal n’habite plus cette arène de planches et de terre, une bête s’y recueille chaque matin. Blanche.