Victoria Mas

Le Livre de Poche / 2021 / 240 pages
Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle.
Ce premier roman, tout récemment adapté au cinéma par Mélanie Laurent, a connu un succès retentissant raflant de nombreux prix, dont le Prix Renaudot des lycéens 2019.
Il faut dire que ce tableau de la condition féminine du XIXème siècle est particulièrement percutant. Si être une femme – en tous les cas dans la bonne société parisienne – dans les années 1800 se résumait à suivre sans broncher les décisions prises par un père, un mari, ne pas suivre la norme ou être victime de la société ne laissait la place qu’à une alternative : l’internement. La Salpêtrière. Pour ne pas déranger, faire mauvais genre et salir la réputation d’un nom, on enfermait sans vergogne filles, sœurs ou femmes qui n’ont pas eu la prudence qu’il leur incombait et qu’on préférait cacher et oublier.
La maladie déshumanise; elle fait de ces femmes des marionnettes à la merci de symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains de médecins qui les manipulent et les examinent sous tous les plis de leur peau, des bêtes curieuses qui ne suscitent qu’un intérêt clinique. Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes, elles ne sont pas des femmes qu’on regarde et qu’on considère, elles ne seront jamais des femmes qu’on désire et qu’on aime: elles sont des malades. Des folles.
Eugénie le comprend trop tard. Quand elle révèle sa différence en toute confiance, elle n’imagine pas dans quel tourbillon elle va se retrouver. Elle est internée de force à la Salpêtrière, là où se côtoient hystériques, idiotes ou épileptique, mais aussi des femmes blessées, victimes, objets placés dans les mains de ces hommes de sciences, au service des expériences dirigées par le Professeur Charcot, admiré du tout Paris. Se mêle avec son histoire une part de surnaturel – le dialogue avec les morts – qui passionnait tout un pan de la population de cette époque.
Et puis, à la mi-carême, chaque année, se déroule le Bal. Celui où la bonne société vient, le temps d’un soir, se mêler à ces malades, observer ces folles à l’affût d’une crise d’hystérie à raconter lors d’un dîner mondain. Les pensionnaires l’attendent, ce bal, piaffent lors des préparatifs, des costumes qu’on coud depuis des semaines, sans prendre conscience qu’il ne s’agit que d’une exposition de victimes pour voyeurs malsains.
Et puis tout autour : ces femmes. Tellement touchantes. De tous âges, de toutes catégories, qui se côtoient dans cette prison, se soutiennent ou s’ignorent mais ont comme point commun d’être toutes à la merci d’une société dominée par des hommes qui cherchent à faire taire des femmes qui dérangent. Mais parfois, au milieu du brouillard, des consciences s’éveillent et reprennent espoir.
D’une écriture pointue mais parfaitement fluide, ce roman puissant est à lire absolument.
Entre l’asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes.