Emmanuel Grand

Le Livre de Poche / 2022 / 512 pages
Roman d’atmosphère, peinture sociale saisissante d’une région déchirée, Sur l’autre rive est un récit aussi noir que sensible où se déploient la puissance romanesque et le style percutant d’Emmanuel Grand.
Découvert grâce au Prix des lecteurs du Livre de Poche, j’ai très vite adhéré au style d’écriture de l’auteur. J’aime les textes qui nous parlent des gens, qui sonnent vrai et qui posent le cadre de manière brute et réelle. On est en plein dedans avec ce roman noir. Emmanuel Grand nous propose ici une plongée dans un monde sans concession.
On découvre Saint-Nazaire, une ville portuaire qui fonctionne au gré des chantiers navals, des grues et des pêcheurs, au bord d’un océan qui prend plus qu’il n’offre. Et un pont. Qui permet de passer sur l’autre rive mais qui soulage aussi les âmes égarées et leur ouvre la porte sur une rive plus lointaine. Une ville qui navigue entre misère et mafia qui gangrène la jeunesse pour qui même un talent fou ne suffit pas …
Suicide? Accident? Meurtre? Quand son jeune frère est retrouvé mort noyé dans la rivière, Julia, avocate à succès montée très jeune à Paris pour fuir sa ville et une famille qui l’empêchait de respirer, revient sur les traces de son passé. C’est son amour de jeunesse, Marc, qui enquête sur l’affaire et qui sent que quelque chose de plus grand surplombe ce qui paraît être un banal suicide comme il y en a tant chaque année depuis le pont de Saint-Nazaire. Pourquoi Franck Rivière, jeune espoir du football français, qui avait la vie devant lui et des rêves plein les yeux, se serait-il suicidé? A moins que ses rêves lui aient justement brûlé les ailes …
Elle le revoit petit, sa tête ratiboisée, toujours en train de faire l’andouille, un sourire désarmant constamment pendu aux lèvres. Puis elle l’imagine en haut du pont, perdu, désespéré. Et elle s’en veut.
Le découpage de ce polar est très plaisant, on suit l’équipe policière et le retour de Julia avec tout ce que cela implique dans la première partie qui pose le décor, qui ouvre l’enquête… puis on revit ensuite le cheminement et les derniers temps de Franck dans la seconde partie qui fait monter la tension jusqu’à un final extrêmement touchant et qui prend aux tripes.
En bref, un polar qui fonctionne parfaitement et qui nous emmène dans les espoirs déchus d’habitants d’une région de France qui tentent de sortir la tête de l’eau. Désespérément.
De l’autre côté de l’estuaire, c’était Saint-Nazaire, un cordon de lumières posées sur l’eau, puis les grues des chantiers qu’on devinait dans la nuit et sur l’extrême droite, si l’on s’avançait plus loin, on apercevait les lampadaires du pont qui formaient un arc de cercle parfait, une guirlande de fête posée entre les deux rives de la Loire. Comme beaucoup de gamins, Franck avait passé des heures le soir à contempler le pont, à s’imaginer prendre le large, voler au-dessus de l’eau, partir pour ne jamais plus revenir. Le seul relief, le seul ouvrage d’art de la région portait avec les chantiers toute la charge de l’invitation au voyage.
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