Sarah Jollien-Fardel

Sabine Wespieser Editeur / 2022 / 20 pages
Son remarquable premier roman, « Sa préférée », met en scène une narratrice hantée par son enfance détruite. Une œuvre brusque, déchirante.
Évidemment de la fierté quand une primo-romancière suisse fait une entrée fracassante dans la sphère littéraire. On chuchote même une nomination au Goncourt. Ce sera le Choix Goncourt de la Suisse et le Prix du roman Fnac 2022. Entre autres.
Mais ça dépasse la fierté quand le livre parle de notre région, de là où nous aussi on a passé notre petite enfance entre plaine et montagne, au milieu des taiseux et des bons vivants. Quand il utilise notre langage et nos repères. Presque nos souvenirs.
Jeanne a grandi dans un petit village comme il y en a tant en Valais dans une famille classique, ses parents, sa sœur. Mais derrière les coutumes folkloriques et les jolis paysages, la porte se referme sur ce qu’on ne dit pas et sur les actes dont on détourne le regard. L’incompréhension. La lâcheté des autres. La fuite. La survie. La recherche désespérée d’une autre réalité que Jeanne obtient au bout de quelques kilomètres et d’un lac qu’on ne peut pas apercevoir depuis son village et qui deviendra une soupape indispensable. Pourtant les répliques du séisme ne lui laissent aucun répit, même à une distance honnête de l’épicentre. Elle ne parvient pas se construire avec les fulgurances d’un passé vacillant, la culpabilité d’une fille, la souffrance d’une sœur, la haine d’un père.. et pourtant elle essaie, Jeanne. De toutes ses forces.
Je sais que je n’ai jamais trouvé de sens. Je n’ai pas fait semblant, j’ai vécu un jour derrière l’autre sans qu’aucun ait pu effacer la peur et la rage de mon enfance.
C’est une immense claque qui m’a cueillie à la lecture de cette histoire. Et pourtant je m’y étais préparée. Mais pas à ce qu’elle me parle autant. J’ai souffert avec Jeanne, crié, pleuré, aimé avec elle. J’aurais voulu écrire ces mots. Si justes. Sarah Jollien-Fardel est une virtuose qui manie avec ses mots la réalité brute de la vie mais sans pathos, sans manichéisme. Elle se fait le souffle de la colère et de la résilience. Magnifique.
Une de mes dernières lectures de l’année 2022 et clairement mon plus gros coup de cœur.
Je ne suis pas n’importe qui. Je suis la fille de ce monstre, je suis la femme qui trompe, je suis la femme qui a frappé, je suis la femme sèche de l’intérieur, je suis la femme aux entrailles pourries, je suis la fille qui n’a sauvé ni sa mère ni sa sœur, je suis la fille d’un meurtrier, je suis la fille vide qui regarde son père mourir, je suis la femme qui n’écoute pas sa compagne lui dire: «Fais la paix.»
Je suis la femme sans rémission.